Si tu es du genre connecté sur les réseaux sociaux, tu as dû voir quelques bouleversements dans l’univers de la photographie canine ces derniers temps. C’est la guerre ouverte entre deux photographes canines de renoms, à savoir Audrey Bellot d’un côté, photographe française, et Alicja Zmysłowska de l’autre, photographe polonaise. Alicja Zmysłowska accuse Audrey Bellot de plagiat, de lui avoir littéralement copié ses photos.
Beaucoup de choses ont fusé sur les réseaux sociaux à ce sujet ces derniers temps, pour la plupart en anglais. Alors essayons de remettre un peu d’ordre dans tout ça et profitons-en pour se pencher un peu sur la question du plagiat en photographie.
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Table des matières
Un peu de contexte dans ce monde de brut(e)s…
Soyons clairs de suite, le but de cet article n’est absolument pas de prendre parti pour l’une ou l’autre des photographes. L’idée est de plutôt rester très factuel. Et surtout, ça soulève des questions intéressantes sur le sujet du plagiat.
Mais reprenons un peu les faits au milieu de cette gueguerre où l’on envoie joyeusement ses fanatiques aller agresser le camp adverse. Alicja Zmysłowska accuse Audrey Bellot d’avoir plagié plusieurs de ses œuvres en présentant sur la rangée de droite, ses propres réalisations, et sur celle de gauche, les photos d’Audrey Bellot réalisées après.
Lors de ses annonces publiques du 21 juin 2021, Alicja Zmysłowska déclare avoir tenté à plusieurs reprises de contacter Audrey Bellot pour lui demander de retirer ses photos. Cependant cette dernière l’aurait bloquée sur toutes les plateformes via lesquelles elle a tenté de la contacter. Elle s’est alors tournée vers un avocat sur la propriété intellectuelle internationale qui lui a confirmé qu’il s’agit de plagiat. Mais les recours sont trop coûteux et les issues trop incertaines pour qu’elle se décide à les lancer.
C’est donc publiquement sur son compte Instagram qu’elle décide d’attaquer à nouveau. Attaques auxquelles Audrey Bellot a vaguement tenté de se défendre.
Voilà grossièrement pour les faits annoncés. Mais maintenant, plagiat ou pas plagiat ?
Mais qu’est-ce que le plagiat en photographie ?
En art, qu’est-ce que le plagiat ? Parce qu’après tout, personne ne réinvente la roue, on s’inspire tous directement ou indirectement de plusieurs sources, dans notre domaine de photographie, ou dans d’autres formes d’art.
Je suis allée chercher quelques définitions. Et autant commencer par Wikipédia :
Le plagiat est une faute d’ordre moral, civil ou commercial, qui peut être sanctionnée au pénal. Elle consiste à copier un auteur ou accaparer l’œuvre d’un créateur dans le domaine des arts sans le citer ou le dire, ainsi qu’à fortement s’inspirer d’un modèle que l’on omet, délibérément ou par négligence, de désigner. Il est souvent assimilé à un vol immatériel.
Wikipédia
Autant dire que cette définition ne nous aide pas beaucoup… Copier ? Mais à quel point ? Si je photographie le même Border Collie que mon voisin photographe, est-ce copier ? Bien sûr que non…
Il faut savoir que la notion de plagiat n’existe pas dans le droit français. Chez nous, il est assimilable à la contrefaçon. Et si on reprend l’article L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle :
Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.
Code de la propriété intellectuelle
Où se situe cette limite entre plagiat en photographie (ou contrefaçon) et inspiration ? A quel moment on peut parler de contrefaçon et que ça devienne juridiquement illégal ?
Solène Hamon tente d’y répondre dans un de ses articles :
Constitue une infraction pénale toutefois le plagiat sous le terme de contrefaçon lorsque l’œuvre est reprise sans plus value artistique ou quelconque originalité, lorsque la distinction est trop juste pour éviter tout risque de confusion. Cette notion de contrefaçon est pénalement répressible, sous la libre appréciation du juge, qui base son opinion sur plusieurs éléments : la distinction entre la forme et le fond, le caractère intentionnel de l’emprunt, l’importance de l’emprunt vis à vis de l’œuvre finale …
Solène Hamon
Là on a déjà beaucoup plus matière à discuter !
Le plagiat dans l’art de la photographie ?
Je pense qu’on est tous d’accord pour assimiler la photographie à un art. Donc la contrefaçon est une notion qui a totalement sa place dans la photographie. Dans la définition de Solène Hamon, il y a plusieurs termes qui ressortent et qui me paraissent essentiels.
L’originalité
D’abord la notion de « sans plus value ajoutée ou quelconque originalité ». Si on reprend quelques exemples de photos, il y a exactement les mêmes colorimétries, les mêmes lieux, les mêmes type de chien, les mêmes poses, et les mêmes cadrages. Niveau originalité, on peut probablement dire qu’en effet il n’y en a pas…
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Mais plus globalement, la notion d’originalié est difficile à définir. Si on ne se base que là-dessus, il y en a une tonne de photos qui ont vues, vues et revues ! Qui n’a jamai tenté la photo du chien sur lequel on jette des feuilles mortes en automne ? Ou la photo de chiots dans une petite valise ou un petit panier ? Est-ce que ces idées sont originales ? Porbablement pas… Est-ce que ces photos peuvent être passibles de peine pour autant ? Probablement pas non plus…
Donc la notion d’ « originalité » ou de « valeur ajoutée » ne suffit pas.
La distinction entre la forme et le fond
Dans la notion de « forme » et de « fond », on peut l’assimiler selon moi aux outils et aux intentions. Voir une jolie teinte de vert sur une photo et vouloir travailler ses verts pour obtenir la même teinte, c’est un outil. C’est l’outil couleur, qu’on cherche à travailler d’une certaine façon. Dans « la forme », on peut y mettre le matériel utilisé et ses réglages ou les outils de post-traitement utilisés (dodge and burn, courbes, constrates, …).
Par contre, le fond, c’est toute l’intention d’une image : je veux photographier tel type de chien, dans tel environnement, avec telle lumière et telle ambiance colorimétrique dans le but d’en faire une photo d’art… Tu vois la différence ?
Si on revient sur notre cas, non seulement la forme y est, mais parfois le fond aussi.
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Le caractère intentionnel
Là c’est très intéressant, car en effet le caractère intentionnel est certainement le coeur de cette guerre des clans… Car oui, Audrey Bellot n’a pas démenti s’être « inspirée ». Il y a donc bien là un caractère intentionnel. Maintenant, il reste toujours cette frontière si mince entre l’inspiration et le « copier-coller ».
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Certainement que cette frontière n’est pas placée au même endroit selon les personnes… On en arrive donc au dernier critère.
L’importance de l’emprunt…
Certainement que lorsqu’on voit deux photos se ressembler, on ne peut pas exclure qu’il puisse s’agir de coïncidence. La photographie canine est de plus en plus dense, avec de plus en plus d’adeptes. Il y a forcément des redites et beaucoup de photos similaires.
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Mais quand ça commence à concerner plusieurs dizaines de photos, là le doute est un peu moins permis… Là aussi c’est au centre de cette petite guerre car le nombre de photos estimées plagiées est assez important ! D’autant qu’Audrey Bellot a construit une partie de sa notoriété et de sa carrière de photographe sur ces photos.
Pourquoi éviter le plagiat ?
Eviter le plagiat en tant que photographe, ou la contrefaçon en bon droit français, c’est avant tout chercher à avoir un comportement intègre et une démarche d’honneteté intellectuelle. Et c’est valoriser et respecter les productions originales lorsqu’on s’en inspire également. En bref, c’est du savoir vivre et du savoir être. Copier l’oeuvre d’une autre personne par cupidité est une des pire erreur qu’on puisse faire en tant qu’artiste.
Et puis celà reste punissable par la loi. D’un point de vue juridique, le « plagiaire » encourt jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende. Mais lorsqu’un procès doit être mené en international, les chances d’avoir gain de causes sont malheureusement minces.
Il ne faut pas négliger l’impact psychologique pour les plagiaires :
– Mise à mal de la réputation
– Climat de suspicion qui suit longtemps le plagiaire et qui questionne pour tous les autres photographes…
– Remise en question de la valeur du professionnel
En bref, il y a tellement à perdre !
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Et dans notre cas ?
Suite à ces annonces lancées par Alicja Zmysłowska sur Instagram, tout un chacun s’est lancé avec sa petite anecdote sur la photographe française, allant jusqu’à démontrer un plagiat plus étendu avec plusieurs photographes…
Chacun se fera son avis. Si un procès est engagé, j’ose espérer que dans ce cas-là, la justice saura trancher sur la question. Encore une fois, le but de cet article n’est certainement pas de jeter la pierre à telle ou telle photographe. Mais plutôt d’en profiter pour parler plus largement de ce que peut représenter le plagiat pour un photographe. J’ai déjà dit sur ce blog que je t’invite chaudement à partager tes photos et à aller explorer les œuvres d’autres photographes, voire dans d’autres types d’art. Il y a beaucoup de choses à en apprendre, en termes de techniques, d’ambiances, d’outils, etc.
Cependant, s’inspirer n’est pas vouloir refaire un copier-coller du travail de quelqu’un d’autre au point de ne faire preuve d’aucune créativité. La photographie est un art. Pour exercer un art avec brio, il faut utiliser des outils pris à droite et à gauche, et les mixer pour créer. Et j’insiste sur ce terme de création. N’est-ce pas le principe même de l’art que de créer et d’essayer d’être original ? 🙂
N’hésite pas à débattre en commentaire pour donner ton avis. Je serais intéressée d’avoir le tien !